Dessin ou photographie

Dessin ou photographie ou les deux ?

“Chez moi, le dessin commence dans la photo, inspiré par les rythmes, et je le poursuis à l’encre en essayant que tout se mêle sans qu’on voie le passage de l’une à l’autre.” Bernard Flachot

ESPACE CULTUREL ALTERNATIF, Immix existe depuis sept ans, et doit son existence et son allant à trois en­thousiastes, que la photo et les arts démangent. Le défi est clair : “exposer principalement de la photographie con­temporaine en la confrontant (IMagesMIXtes) à d’autres médias, avec l’idée qu’un pas de côté permet souvent de

Bertrand Flachot, “Constellation”. En bas, œuvre de Gilles Balmet.

mieux voir l’édifice.” Les artistes conviés (confirmés et émergents) ont non seulement du répondant, ils se dé­ couvrent mutuellement. La plupart du temps, ils ne se connaissaient pas avant leur mise en concordance.

En 2014, les expositions d’Immix ciblent le media photo, sa place dans l’histoire de l’art, sa façon d’inter­roger la vie. “Dessin et photographie”, le thème défendu ce mois­ci peut surprendre. La rencontre de quatre pro­ positions, sans doute parallèles mais loin d’être identiques, a de quoi titiller les curiosités. Pour Carlo Werner, Bruno Dubreuil et Olga Caldas, les mentors du projet, proposer une apostrophe entre dessin et photographie, les deux techniques s’accouplant directement entre el­ les chez certains des quatre exposants, “c’est, à l’instar de l’expo Cartier ­Bresson du Centre Pompidou, mettre en lu­mière des pratiques artistiques qui entrent en résonance avec ce questionnement : comment le dessin prend­il en charge une représentation du réel qui, en un siècle et demi, a été bouleversée par l’image photographique ?”

Bertrand Flachot photographie et dessine des paysa­ges, le dessin apparaissant comme le prolongement de l’image, une infinité de traits à la plume débordant de la photo pour surprendre l’œil même averti. Passionné par le geste et la feuille, conscient des vertus de l’ordina­teur et du numérique, Flachot part du constat que la photo retrouve, grâce à eux, un côté plus pictural et que l’on pe«ut la travailler en dessin sur l’ordi. Il nous pro­ pose des paysages de Seine et Marne, tirages argentiques à partir de fichiers numériques, corroborés d’un vaga­bondage graphique à la main. Un triptyque de Flachot est éclairant : intitulé “Constellation”, 2010, il se diver­sifie entre image et dessin, image seule, dessin enfin.

Richard Müller pratique un dessin qui imite la photo­ graphie. C’est tracé au crayon sur papier, c’est fin, subtil, délicat. Il part de ses propres photos pour réaliser ses dessins de villes et d’ambiances et, à ses yeux, ses petits traits sont ses pixels, des “Picture Elements”.

Gilles Balmet procède différemment. Pour ses “Silver Mountain” de 2013, il recourt à la technique des papiers vénitiens : “il fait flotter de l’encre blanche sur la surface d’un liquide, ensuite il oriente les formes produites et couche, par­ dessus, une feuille de papier noir sur laquelle s’impriment des volutes blanches.” D’où une réalisation abstraite, sorte d’univers abyssal onirique et profond. Des images qu’il ap­ pelle ses “négatifs”.

Des dessins à l’encre, fouillis de lignes et taches, d’une part. Une vidéo d’une feuille qui se déplace imperceptible­ ment, de l’autre. Un film de bobine de cassette suspendu au plafond et qui tourne en vrille… Samuel Buckman joue son dessin sur divers registres très actuels.

Si la notion de photo est clairement présente à l’esprit de ces audacieux réunis pour une bonne cause commune, les quatre s’apparentent surtout autour du dessin avec une conscience aiguë de la relation au trait, au rythme, à la den­sité.

Roger Pierre Turine in supplément à La Libre Belgique n°231. Semaine du 9 au 15 mai 2014

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