Désobéissance sociale

De tout temps, la photographie a accompagné les mouvements protestataires. A tel point que dans le volume III de l’Histoire du livre de photographies (éditions Phaidon, co-écrit par Gerry Badger), Martin Parr en fait une catégorie à part entière, judicieusement sous-titrée Documents de colère et de tristesse. On ne saurait être au plus près de ce qui se dissimule derrière les éclats de voix, les embrasements et les violences exercées sur la terre et les corps.
Sans rien vouloir lui enlever de son caractère subversif, il faut reconnaître que le concept de désobéissance sociale est aujourd’hui plus largement reconnu. Quasi-institutionnalisé à travers de grandes figures de résistance telles que Gandhi, Martin Luther King ou Nelson Mandela, il apparaît même, dans l’actualité récente, alors que les citoyens désertent les urnes électorales, comme une réponse possible au pouvoir, parfois aveugle, de la démocratie. Les petites causes se faufilent derrière les grandes, les actes quotidiens soutiennent des idées fortes, la politique se joue peut-être plus dans des forêts, des terrains vagues ou des jardins ouvriers, que dans les fauteuils de cabinets.
La spécificité de cette photographie qui représente la désobéissance civile, c’est que ceux qui la font sont souvent au cœur de l’engagement. Ils n’en deviennent pas forcément pour autant les acteurs d’une propagande mais leurs images portent les trace de la sympathie voire de l’empathie qu’ils ont pour ces mouvements. Poussée à son extrémité, cette attitude peut faire du photographe un activiste, et son travail prendra alors une forme évoquant le manifeste ou le tract. Mais elle peut aussi adopter la forme d’un reportage, avec des critères photojournalistiques, dans lequel la position personnelle du photo apparaîtra plus ou moins distanciée.
C’est surtout une photographie qui replace la figure humaine au cœur de l’image : des formes de désobéissance sociale, ce sont bien sûr des lieux, des évènements, des indices de la résistance qu’il faut comprendre et décrypter, des situations sociales, économiques et écologiques. Mais ce sont avant tout des causes qui s’incarnent : des hommes, des femmes, des visages. En cela, ces images entretiennent un lien vivace avec la grande tradition de la photographie humaniste.
Mais à son propos, il serait naïf de croire que certaines photographies sont si motivées par le contenu idéologique qu’elles véhiculent, que la forme s’en trouve reléguée au second plan. Qu’elles ne feraient que documenter. On observera ainsi dans certains travaux comme la place donnée à l’individu dans les processus de décisions politiques se redouble à l’intérieur du cadre photographique. Repoussés près des marges, pris en étau entre les flammes, les fumées, les mots d’ordre et les matériaux amoncelés pour former la barricade, il ne reste aux hommes qu’un moyen de témoigner, la photographie. Et un unique moyen de résister : la fraternité.

Bruno Dubreuil / Immixgalerie

0o2ru