Madeleine de Proust, un autre jour
Madeleine de Proust, un autre jour
Sandrine Commarmond
Une exposition du 7 au 30 juin 2007
Que peut la photographie ? Peut-elle nous décrire le monde ? Nous l’expliquer ? Peut-elle nous permettre de faire l’expérience du monde ? Peut-on attendre d’elle qu’elle nous conduise vers une nouvelle façon d’être au monde ?
Ces questions, Sandrine Commarmond se les est posées. Sa réponse est diffuse. A la fois complexe et transparente. Joueuse aussi.
La matière, la perception, l’interprétation et la métaphore brassées, empilées, recouvertes ou mises à nu. Pour dire quoi ?
Pour dire la complexité de notre rapport au monde. Sa richesse aussi. C’est là que Sandrine Commarmond nous conduit et nous perd. De ce que l’on voit dans ses images, on n’est pas très sûr.
C’est cela : dans certaines photographies, on n’est pas en lieu sûr.
Proust et les monades
Deux volets dans cette exposition s’imbriqueront intimement : un ensemble de photographies et une installation autour de l’œuvre de Marcel Proust et, plus particulièrement, la façon dont l’écrivain réalise sa plongée vers le souvenir tout en idéalisant (transfigurant) le banal et le quotidien.
Et un projet intitulé « Les Monades », série de photographies dans lesquelles elle interroge le rapport entre notre corps et l’évènement que constitue le regard porté sur le monde.
Cette série s’enrichira d’une projection d’images fixes.
« Les notions de transparence et d’opacité, de matérialité et d’immatérialité, d’apparition et de disparition sont au cœur des problématiques des Monades. Ces notions mettent en évidence des espaces non figés et indéfinissables : les espaces transitoires de nos actes. » (Sandrine Commarmond)
Sandrine Commarmond tient à remercier la Biscuiterie Jeannette (Caen) qui lui a apporté son soutien financier pour cette exposition
Un dispositif de regard en appel d’archipel.
Christian Ruby
S’il advenait,
S’il advenait qu’un autre humain,
Entre dans cette situation optique, à l’instant,
Ne devrait-il pas la transpercer de toute part ?
Afin d’y instaurer une parole en archipel.
Dans cette série, en effet, chaque photographie de Sandrine Commarmond institue sa dramaturgie artistique en faisant du dérapage accidentel d’un voile transparent enfin soulevé une métaphore de la faiblesse humaine qui ne cesse de rétrécir le lieu où elle se tient parce que la monade tâtonne en son seul soi-même. N’est-ce pas pour cela que le désert croît sans cesse au sein de la photographie, autour de nous ?, délestée par avance du souci d’une quelconque fonction mimétique ?
Certes, on pourrait le souligner en étudiant le mode de cadrage de l’artiste et la construction de l’image. Et insister aussi sur le fait que la prise de vue fait signe vers la réification de l’image touristique. De l’image qui ne cesse d’aller du même au même. On pourrait alors juger que cette série oppose encore quelque chose de consistant à l’économie du tourisme et de l’isolement communicationnel.
Mais, en réalité, cette dramaturgie artistique fait mieux que d’être orientée vers un but démonstratif. Elle contribue plutôt à la manifestation sensible d’une dialectique du regard encore suspendue. En elle, il s’agirait alors d’inventorier les mouvements qui donnent corps à l’espace en produisant au jour, grâce au mouvement d’un voile, un jeu d’opacité et de transparence, dont le travail contribue à inquiéter parce qu’il renvoie à une impuissance possible à cerner du visible lorsque personne n’entre en résonance avec personne. Cet acte réitéré devant un paysage engendre justement moins un spectacle ou une fragmentation qu’il ne met à disposition du spectateur une posture à réfléchir. Ainsi la surface de la photographie n’a pas besoin d’évoquer une quelconque profondeur dans l’aventure de laquelle se logerait le secret spirituel de tous les êtres. Elle est à la fois sa surface et sa profondeur, en donnant plutôt toute sa place au regard lui-même, au regard de celui qui doit occuper la place du regardeur. C’est lui qui donne de l’ampleur aux rapports entre des plans qui glissent les uns sur les autres en créant une dynamique d’échange en mouvement constant.
Et si le voile, qui est aussi bien la toile de la peinture devenue transparente, et sur laquelle il n’y a rien à peindre, se froisse et se lève, ce n’est pas du tout, répétons-le, pour évoquer quelque chose qui serait caché derrière lui (car sa transparence fait que le derrière est déjà devant), que pour déplier le regard et faire jouer le dispositif d’un appel. L’ondulation transparente rend visible ou invisible l’image pittoresque que doit confirmer ou infirmer la présence d’un autre regard absent de la photographie.
Le pli sur pli plié et replié du voile et des dunes et des sables dessine alors la possibilité d’un monde résolument entrecroisé dans lequel la parole prend toute sa place de redistribuer les monades en archipels. Aussi ce qui fait métaphore de ces archipels dans la série ici en question, c’est une manière de suggérer non des différences de plan pour un seul regard (plaçant en exergue des intrigues et des faux-semblant), mais des plans différents pour des regards différents qui se croisent (engageant la production d’un monde).
Les ressources de la photographie contribuent encore une fois, ici, à déplier la nécessité même des archipels.