DONNER CORPS A L’IDEE, DONNER DES IDEES AU CORPS

Artistes : Olga Caldas + Milan Simic, Mikelle Standbridge, Fabiola Ubani, Clara Saracho de Almeida, Sylvie Anahory

Curateurs : Olga Caldas et Carlo Werner

Du 6 novembre au 16 décembre 2021

TEXTE DE PRESENTATION

Dans les années 60 et 70 l’art corporel, ou body art, attirait l’attention, par de violentes performances d’automutilation, sur les interdits physiques et sexuels. En 2021 nous sommes toujours en présence d’un art et d’une certaine photographie liés au corps, pratiqués par des artistes femmes, qui n’ont pas oublié le body art. Leurs œuvres sont apaisées, le langage est allusif et poétique, elles visent des nouveaux enjeux sociétaux.

Les œuvres que nous présentons sont centrées autour d’actions sensorielles sur le corps – le sien ou celui d’autrui : le corps est égratigné (Fabiola Ubani), piqué jusqu’à l’insoutenable (Mikelle Standbridge), gaufré (Olga Caldas et Milan Simic), frôlé par la lumière (Sylvie Anahory), enveloppé-figé (Clara Saracho de Almeida).

En cela – particulièrement les travaux de Mikelle Stanbridge et Olga Caldas/Milan Simic – rappellent les œuvres de l’art corporel (ou body art) : auto-actions dures sur le propre corps des artistes, emblématiques de ce mouvement international des années 60 et 70 dont les noms phares sont : Gunther Brus (Autr), Herman Nitsch (Autr), Rudolf Schwarzkogler (Autr), Chris Burden (E.U.), Marina Abramovic (Serbie), Vito Acconci (E.U), Gina Pane (Fr), Michel Journiac (Fr).

Il nous semble que le rapprochement des œuvres que nous exposons avec celles du body art, peut-être fructueux.

Le body art avait de multiples enjeux,( ce serait trop long de tous les détailler ici) dont, principalement, la réappropriation du corps. Corps encore ligoté par des interdits exprimés ou non. La libération sexuelle n’était pas encore là. Revendication d’ailleurs paradoxale : celle de disposer librement et entièrement de son corps et déjà se sentir à l’étroit dans son enveloppe. C’est ce que clament leurs œuvres-performances : l’artiste se présente souvent nu et dispose de son corps à sa guise, il en fait support et surface d’expression, par des auto-souillures, auto-incisions, auto-suspension par la peau, auto-section du pénis, auto-couture des lèvres, auto-brûlure au fer rouge, auto-blessure au pistolet, auto-asphyxie, auto-empoisonnement.

L’art corporel était violent, oscillait entre engagement total et sensationnalisme au deux sens du mot.

«  Notre corps, nous mêmes », était un slogan approprié, mais, ironie de l’époque, c’était celui des femmes (pour le droit à l’avortement). Le body art était… une affaire d’hommes (avec l’exception notable de Gina Pane et Marina Abramovic).

A l’exception de Milan Simic, et sans l’avoir particulièrement recherché lors de sa création, tous les artistes de notre présente exposition sont femmes. Et toutes manifestent une relation différente au corps que leurs prédécesseurs des années 60 à 70.

Chez Mikelle Standbridge nous retrouvons le body art dans ce corps éprouvé jusqu’à l’extrême par la suspension au moyen de la propre peau du protagoniste, tout comme des allusions à d’autres douleurs auto-infligées : vêtements piquants, piercing, tatouage. Mais ceci sous forme de photos des actions, non par des performances comme précédemment le body art. La part de Mikelle Standbridge est surtout d’y associer une monstration très sensible. Faits d’échos et rimes visuelles, elle propose des sortes d’écrins aux photos de performances auxquelles elle réussit à rendre un hommage admiratif et palpable, à l’exemple de ce piédestal aux mille aiguilles qui donne à voir une photo faisant allusion à la danse orientale avec sa robe à sequins piquants

On peut sentir que Fabiola Ubani évoque avec nostalgie l’éveil du corps et de l’individualité du temps de la Renaissance.  Corps sculptés désormais rayés, salis et oblitérés par des textes à l’ordinateur trop propres pour avoir été vécus. On s’éloigne du corps, il est là mais seulement en idée, idée du Cinquecento et idée de la sensualité.

Chez Sylvie Anahory nous retrouvons une critique similaire assortie d’une mise en garde : risque majeur d’une perte des informations sensitives et sensibles par la datification. Elle craint l’impossibilité d’une traduction et conservation, par l’archivage informatique, des affects subtils, contenus dans les images du corps, particulièrement  dans la gestuelle (comme celle d’un bras en position d’imploration) ou venant d’une association entre image et geste (ciel et position du bras). On ne pourra pas donner corps par la symbolisation informatique.

Olga Caldas et Milan Simic proposent l’idée d’un nouvel engagement du corps, loin des revendications de l’art corporel, mais tout entier tourné vers l’environnement naturel, en relation de sympathie avec le végétal, hédoniste, d’esprit écologique. La douleur est présente  comme pour le body art, mais adoucie, sans agression majeure réciproque entre nature et femme ou homme. Ils acceptent certaines marques sur le corps – ou les recherchent – comme auto-confirmation de leur lien fusionnel aux plantes et arbres : traces de cordes, de mailles de fer et d’écorces sur la peau. Réminiscence de l’art du gaufrage du 19e  siècle repris avec bonheur par Milan Simic et idéalement associé aux photos d’Olga Caldas.

Par ses moulages corporels réduits à l’extrême, dans une belle économie d’expression, Clara Saracho de Almeida remet le corps au centre du monde, les bras étendus comme pour mesurer toute chose à l’échelle de la taille humaine. Les moulages non seulement donnent l’échelle comme l’aurait aussi fait une sculpture similaire, mais convoquent simultanément la sensation de la peau emmaillotée par l’enveloppe humide du plâtre ou de la résine.

Nous le voyons par ces œuvres : en 2021 l’art corporel est apaisé, tourné vers des nouvelles problématiques écologiques, informatiques, existentielles et les artistes sont des femmes. Elles s’expriment dans un langage allusif, poétique, superbement repris par le commentaire d’Olga Caldas qui est artiste et également commissaire à mes côtés :

« Le corps est donc ce lieu absolu pour chacun de ces artistes. Le petit fragment d’espace avec lequel, au sens strict, nous faisons corps…

À la fois objet et sujet, il est notre intime et mystérieux « véhicule de l’être au monde ». Et c’est cette ambivalence que ces six artistes interrogent à travers la relation à l’autre, au désir, à la nature, à l’espace. Il est pour chacun d’entre eux support, matière, enveloppe, mesure, idée … et jamais totalement appréhendé. »

Olga Caldas et Carlo Werner

L’EXPOSITION

VERNISSAGE :

ECHO DANS LA PRESSE:

Quotidien LIBRE BELGIQUE du 24.11.21