ECOLE NATIONALE SUPERIEURE DES ARTS VISUELS LACAMBRE DE BRUXELLES (ENSAV LACAMBRE).

Portion déterminée de l’espace

Exposition du 14 janvier au 12 février 2022

Artistes ( Ex-étudiants de l’Ecole Nationale Supérieure de L’Audiovisuel La Cambre de Bruxelles ) : Romy Berger, Benoît Jacquemin, Alice Pallot, Tanguy Poujol, Justyna Wierzchowiecka.

Curateur : Hervé Charles. ( Directeur du département photo de l’Ensav LaCambre )

Texte de présentation

Portion déterminée de l’espace

La photographie est un terme qui désigne à la fois le processus et le résultat, induisant une complémentarité indissociable entre l’action du photographe et l’objet qui en résulte. Nous ne la définissons pas par une technique mais par une pratique visuelle marquée d’un rapport d’adhérence à quelque chose quelque part dans le réel. Dans ce contexte, on considèrera comme «photographie» toute production artistique qui atteste dans sa démarche de l’existence d’un référent, celui-ci n’étant pas forcément reconnaissable ou décelable dans l’oeuvre, ce qui ouvre à la diversité des pratiques et des formes plus libres.

Les choix créatifs et les réflexions que sous-tendent les travaux présentés ici font certes écho à cette définition mais aussi à l’histoire personnelle de chacun.e des artistes. Au-delà de leur âge, de leur profil socio-économique ou de l’actualité, des points communs relient leurs oeuvres et la notion de lieu traverse leurs recherches. Aucun.e parmi eux.elles n’est né.e à Bruxelles mais ils.elles ont tous.tes fait le choix d’y venir étudier la photographie à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Visuels de La Cambre.

Cette première translation géographique a révélé un ancrage originel spécifique pour chacun.e et cela s’exprime dans les oeuvres sélectionnées pour cette exposition: la Poméranie, le lieu de l’enfance et des origines pour Justyna Wierzkowiecka (Alumni 2016) qui la regarde avec la sagacité des yeux de l’exil; le lieu de l’histoire familiale africaine et du secret de famille pour Benoît Jacquemin (Alumni 2019) qui s’inspire d’images de propagande coloniale; l’ancrage au lieu même de l’exposition pour Tanguy Poujol (Alumni 2017) qui y crée un  labyrinthe émotionnel; son propre corps comme lieu d’expérimentations médicales  récurrentes   pour  Romy Berger (Alumni 2021); le lieu de résilience du confinement -malgré sa pollution avérée- pour Alice Pallot (Alumni 2018).

Le lieu apparait à la fois comme espace mental de recherche pour l’artiste, l’espace capté par l’appareil et l’espace d’expression et d’exposition du travail, induisant la aussi une complémentarité indissociable entre l’action du photographe et l’objet qui en résulte. Nous sommes heureux de pouvoir partager ces oeuvres en ce lieu-ci, à Paris, à la Galerie IMMIX.

L’exposition débute et se termine symboliquement par deux displays, affirmant la mise en abime du système de l’exposition et d’oeuvres scénographiées. L’installation visible de l’extérieur du bâtiment, en façade, est également celle qui clôt le parcours de visite en dévoilant sa structure au fond de la galerie.

Ce premier display de Tanguy Poujol met en évidence des visages générés par un algorithme, les personnes apparaissant sur ces images n’existant pas dans le monde réel. Les tirages monumentaux placés sur le balcon évoquent diverses influences issues de différents mondes. Entre les grands portraits « neutres » de Thomas Ruff et les hommes et femmes politiques des panneaux électoraux, le citoyen pourra y voir l’évocation d’un visage commun dans un risque d’identification collective. Le choix volontaire de tonalité des panneaux et des visages font écho à la référence colorimétrique de la façade du bâtiment.

 La monstration du principe constructif d’imbrication fait partie des attributs défendus par l’artiste, rendant le spectateur conscient de la démarche et de l’implication que cela représente dans un monde dévolu à la suprématie de l’image, au même titre que l’imposition de ces visages dans l’espace public qui nous dominent depuis le premier étage.

 Le deuxième display se réfère aux écrans verticaux promotionnels: un slide-show de Justyna Wierzchowiecka défile sur un écran placé à l’intérieur du bâtiment -mais à l’extérieur de la salle d’exposition. Sur cet écran se succèdent des images sur lesquelles des graffitis digitaux réalisés par l’artiste se superposent aux photographies qu’elle a prises dans sa région d’origine, la Poméranie. Elle se moque doucement et avec humour du lieu de son enfance, du tourisme mais aussi de ses propres images. On retrouve dans l’exposition trois grands formats de type affiche publicitaire permettant d’exagérer la proposition disruptive en questionnant le médium.

Dès l’entrée de la galerie, les images d’Alice Pallot guident le visiteur dans une présentation linéaire rappelant la narration implicite des images. Les images extraites de la série Sillius montrent des moments d’insouciances dans une époque et un lieu qui en inspirent l’inverse: prises lors du premier confinement, dans le Sahara belge – une zone anciennement polluée en résilience grâce à un champignon antidote – les photographies mélangent des sentiments contradictoires. Une apparence idyllique malgré une toxicité imperceptible. A la prise de vue, l’artiste glisse subrepticement des éléments trouvés localement entre son appareil et le réel, brouillant la perception directe dans ce documentaire sensible.

Sur le mur courbe, Romy Berger projette une vidéo qui montre son corps comme un labyrinthe émotionnel, lieu d’expérimentations médicales malgré elle. Sur base de scanners médicaux et de modélisation 3D, l’artiste sonde les limites de l’enveloppe corporelle. Dans un va-et-vient extérieur/intérieur, entre organique et virtuel, les images se dédoublent et s’échangent sur 2 écrans, menant de l’individuel à l’universel. Flirtant avec les frontières de l’espace dans un ballet cosmogonique, la vidéo propose une expérience immersive et introspective.

L’interprétation de l’image coloniale « la vache qui rit » de Benoît Jacquemin impose une relecture contemporaine d’un objet du quotidien dont le contenu de propagande s’était glissé discrètement dans un objet de consommation courante au sein du pays colonisateur. Réalisée par l’artiste sous forme de marqueterie pixellisée en bois exotiques importés massivement, le petit chromo d’origine prend une forme et une taille imposante et intimidante et convoque une abstraction dans l’anecdote de la figure.

Hervé Charles

Avec le soutien de la Galerie IMMIX, Les Amis de La Cambre, OPENART.TODAY et le Centre Wallonie-Bruxelles.

PHOTOS DE L’EXPOSITION