L’échelle de la représentation

L’échelle de la représentation, avril-mai 2016

Photographies, cyanotypes, installations de Valentin Faline, Fabrice Fouillet, Baptiste Rabichon, Eric Tabuchi, Eric Valdenaire


Imaginons un instant une peuplade isolée du reste du monde, qui ne connaîtrait pas nos conventions de représentation. Imaginons que le premier contact qu’elle ait avec le monde extérieur se fasse à travers des photos dans les journaux ou de l’affichage publicitaire. Ne s’étonnerait-elle pas que les mêmes figures humaines puissent simultanément mesurer quelques centimètres ou plusieurs mètres ? S’attendrait-elle à rencontrer un peuple de fourmis ou de géants ? Ou encore des êtres ayant la capacité de moduler leur taille selon les circonstances ?

Nous sommes si habitués à restituer leur juste échelle aux éléments représentés que nous croyons être indifférents à cette notion d’échelle. Mais que nous en venions à perdre dans l’image un repère qui nous permettrait, par comparaison, de rétablir l’échelle, et nous pourrions plonger indifféremment dans le microcosme ou le macrocosme. Afin d’éviter ça, les pionniers de la photographie positionnaient leurs porteurs de matériels dans la photo : utilisés comme marqueurs d’échelle, ils posaient à côté d’un colosse égyptien pour rétablir sa dimension.

Mais au-delà de cette compréhension interne de l’image, il y a la taille de l’image elle-même. Or l’échelle à laquelle nous représentons le monde n’est pas neutre. Et si les techniques de propagande nous ont largement permis d’identifier les effets coercitifs de la monumentalisation, nous sommes peut-être moins attentifs à ceux de la miniaturisation, tant ils sont entrés dans notre quotidien.

Récapitulons les différents cas de figure :
Premier cas : amplification. La photo prend des formats pharaoniques : le spectateur est dépassé, submergé par le visible. Pour transcender le sujet (l’anoblir en l’agrandissant) ? Le détailler (et donc l’autopsier) ? Ou pour qu’il nous écrase depuis sa hauteur ?

Deuxième cas : miniaturisation. Le média rétrécit le monde. Pendant longtemps, cela s’est présenté comme une évidence : les tirages photo ne dépassaient pas une certaine taille. La photo condensait le réel, le miniaturisait. Au mieux, on peut le voir comme une incitation à l’observation : scruter, détailler (à la loupe parfois). Au pire, comme un effet de mise à distance : le réel a la taille d’un jouet, les pires catastrophes tiennent dans une boîte à images (la télévision).

Troisième cas : représentation à l’échelle 1. Celle où la taille de la photo épouse exactement les dimensions de l’objet photographié. Accentuant ainsi l’adhérence entre la photo et le réel (poussée à sa littéralité maximale, c’est la technique du contact). Une simplicité apparente, comme un retour au document brut. Mais avec cette idée en arrière-fond : c’est quand la surface de la photo recouvre exactement son objet qu’elle exprime tout l’écart entre ce qu’est une photographie et ce qu’elle représente. Le spectateur s’illusionne : il croit connaître l’objet représenté, il croit en faire l’expérience, alors qu’il ne tient que des images.

Comme une pulsation effrénée, l’image d’aujourd’hui vit une accélération de ces processus d’échelle, passant de la miniaturisation des écrans de smartphones à l’inflation grandissante de la taille des écrans de home-cinéma. Nous pensons manipuler les écrans, alors que c’est peut-être l’échelle qui nous manipule.

Bruno Dubreuil / Immixgalerie

NB :Une partie du contenu de ce texte provient d’un article précédemment publié par l’auteur sur le webmagazine OAI13

Bruno Dubreuil


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