Point de vue

Point de vue, avril-mai 2018

Œuvres de Marine Bikard, Quentin Mornay, Maria Paris, Pablo Prieto-Stuck, Alicia Renaudin, Yann Yuan Yue

Curateur invité : Patrick Koumarianos


Interviewé en 2016, à l’occasion de l’exposition « La boîte de Pandore – une autre photographie » qu’il dirige au Musée d’art moderne de Paris, Jan Dibbets précise que « Ce qui m’importe c’est de faire en sorte que la photographie génère une réflexion sur le médium, et non pas sur son contenu au sens descriptif et narratif du terme. »

Cette réflexion imprègne l’esprit de notre exposition. Elle nous invite à changer de point de vue, à naviguer entre le visible et l’invisible, à repenser notre rôle de spectateur/trice.

La galerie Immix est transformée en laboratoire qui expose des œuvres à la croisée des arts plastiques et de la photo, réalisées par des artistes intimement liés aux Beaux-arts de Paris.

Ces dispositifs, ces objets dégagent une part de mystère. Ils attisent notre curiosité, nous obligent à interagir avec eux, à nous déplacer pour que nous puissions enfin appréhender dans leur ensemble les photos cachées ou déformées.

Maria Paris dans « Victim of circumstances » travaille avec l’espace : elle prend en photo au même moment sa chambre à coucher et le ciel. Elle superpose ensuite les deux images, et matérialise les étoiles par des trous réalisés dans les photos. Certaines parties de sa chambre deviennent illisibles, invisibles au hasard des circonstances stellaires. Mais la victimisation ne s’arrête point là : ces trouées riment et se décuplent avec les réflexions des spots d’éclairage sur la vitre devant la photo. Et avec ces trouées de lumière c’est nous mêmes, spectateur, selon les circonstances de nos déplacements qui trouons, altérons, rendons illisible la chambre à coucher. Le hasard de la place des étoiles comme les hasards de notre place assujettissent la connaissance.

Alicia Renaudin photographie des installations dans lesquelles elle insère des matériaux différents jusqu’à créer un trou noir qui va rendre invisible une partie de la photo, et qui se déplace – comme chez Marie Paris avec le spectateur/trice. Sa seconde œuvre est composée de 3 colonnes qui reprend ce jeu entre visible et invisible, ouvrir et fermer les yeux de la jeune femme selon nos passages et positions.

L’invisible c’est aussi ce que Quentin Mornay nous propose de découvrir sur ces peaux de cuir. Il utilise la technique de la photogrammétrie, utilisée en archéologie par exemple, qui à partir de prises photographiques permet de reconstituer un espace/un objet en 3D avec l’aide d’un ordinateur. Mais le système n’est pas infaillible. Et ce qui nous est donné de voir, ce n’est une vallée, mais des volumes qui ont échappé au dispositif photographique. Le programme informatique a quant à lui matérialisé l’invisible. Les effets sont d’autant plus accentués par la sinuosité et le relief des peaux exposées.

Le relief est également mis à profit par Yuan Yue pour créer une déformation de l’espace et, par voie de conséquence, de l’image. Nous sommes déconcertés par la progression vers le haut de ces gouttes d’eau qui échappent à la loi de la gravité, du plat et du relief. Nous sommes tout autant déconcertés lors que l’on se rapproche du sceau rouge, esseulé dans le coin, sorte de clin qui fait écho à la première œuvre de cet artiste, où l’on entend des gouttes d’eau mais rien n’est visible.

Le point de vue est central aussi pour la somptuosité des textures produites au fusain noir/blanc que Marine Bikard projette sur des tulles suspendues. Nous augmentons et dosons la densité du grésillement gris, la stridence des blancs, l’inflexion des courbures, selon notre emplacement, jusqu’à apercevoir leur échappé sur l’arrondi du mur. Pour notre grand plaisir, nous produisons un visible possible et incertain.

Combien de fois avons-nous été attirés par ces vitrines de boutiques occultées par de la peinture. La curiosité ne vous incite-t-elle pas à regarder ce qui se passe de l’autre côté ? Pablo Prieto joue sur cette ambiguïté. Il crée des scènes de chantier qui nous poussent à un certain voyeurisme. La photo ne se dévoile que par morceaux et nous oblige à nous déplacer pour en appréhender l’ensemble qui ne se révélera jamais.

Patrick Koumarianos / IMMIXgalerie


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